Aujourd’hui 11 juillet est un jour un peu spécial. Il y a exactement 23 ans, à 1152 kilomètres de chez nous (enfin de Lyon), plus de 8 000 hommes et enfants ont été assassinés.
Ce crime est considéré comme le pire massacre commis en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a été qualifié de génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour internationale de justice en 2001 (le terme « génocide » est cependant contesté par certains historiens spécialisés, ainsi que par de nombreux Serbes).
Le massacre de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine, a été perpétré le 11 juillet 1995 par l’armée des Serbes de Bosnie. Pour rappel trois peuples constitutifs, forment la Bosnie : les Croates catholiques, les Serbes orthodoxes et les Bosniaques musulmans. Lorsque la guerre éclate le 6 avril 1992, l’armée yougoslave, dirigée par le pouvoir central à Belgrade, et à grande majorité serbe, refuse la volonté d’indépendance de la Bosnie-Herzégovine et cherche à garder intactes les frontières yougoslaves.
Opposée à la sortie de la fédération yougoslave, la population Serbe de Bosnie, aidée de l’armée, s’est battue pour maintenir les territoires où les Serbes vivaient, au sein de la Yougoslavie.
La division du pays en « zones ethniques » fut extrêmement violente de par la mixité des populations : déplacement de près de la moitié des habitants, massacre de plus de 96 000 personnes, dont 82 % de Bosniaques et vingt ans après un pays toujours coupé en deux. D’une part la République serbe de Bosnie ou Republika Srpska (au nord et au sud) et la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (au centre).
Lors de cette guerre, les populations serbes et l’armée tentent donc de prendre le contrôle des régions peuplés par des Serbes, créant des enclaves à dominante bosniaques au sein d’une région « serbe ». C’est le cas de Srebrenica, petite ville de 2 600 habitants entourée de hautes collines à l’est de la Bosnie.
Au début de la guerre, la ville tombe entre les mains des forces serbes. Rapidement libérés par la population et l’armée de Bosnie (Armija Republike Bosne i Hercegovine, créée au début de la guerre), la ville et les environs restent assiégés et l’ensemble des villages autour est détruit. Face à la situation dramatique et à l’isolement des populations piégées dans l’enclave, la zone est déclarée « zone de sécurité » par l’ONU, 450 Casques bleus hollandais en assurent la sécurité.
L’armée bosnienne est donc en grande partie démobilisée et démilitarisée, mais garde cependant un rôle de « passeur » pour l’acheminement de l’aide humanitaire… avant d’être définitivement écartée par le général français Philippe Morillon.
Si Srebrenica est une petite ville, plus de 25 000 personnes, fuyant les villages environnants, se massent à l’entrée de la ville. Dans le camp installé par les Casques bleus, sur leur base militaire (une usine désaffectée) à 7 kilomètres de la ville, à Potočari, seul 5 000 réfugiés peuvent être accueillis.
Aux portes de ce village se presse l’armée Serbe de Bosnie dirigée par Ratko Mladić, l’assaut est lancé le 7 juillet 1995.
Une aide aérienne est demandée aux Nations-Unies sans succès par la FORPRONU (Force de protection des Nations-Unies, ou Casques bleus). Le 11 juillet Ratko Mladić entre dans Srebrenica et s’exprime face aux caméras : « Nous sommes aujourd’hui, 11 juillet 1995, dans la ville serbe de Srebrenica. La veille d’un grand jour pour la nation. Nous allons rendre la ville à la nation serbe. Le temps est venu de prendre notre revanche sur les musulmans. »
Sur place, les hommes et les jeunes hommes de plus de 12 ans, sont séparés et emmenés sans que les Casques Bleus ne s’y opposent.
A l’époque l’un de principe fondateur de la FORPRONU est la limitation de l’usage de la force à des fins de légitime défense uniquement. Un principe revu notamment à la suite de ce qu’il s’est passé à Srebrenica. Depuis, la plupart des mandats autorisent l’usage de la force si la population civile est en danger.
En juin 2017, les Pays-Bas furent d’ailleurs jugés responsables partiellement pour avoir laissé faire le partage entre les hommes et les femmes venus se réfugier sur la base militaire à Potočari.
Plus de 200 Casques Bleus ont à leur tour porté plainte contre la Hollande, n’ayant pas eu le soutien demandé et la possibilité d’aider la population. « Une mission irréaliste, dans des circonstances impossibles », selon Jeanine Hennis-Plasschaert, ministre de la Défense.
Suite au tri, les femmes et enfants sont évacués en bus et les hommes restants seront massacrés dans les deux jours qui suivent. Soit 8 372 morts.
Parmi les hommes qui ont décidé de fuir à travers les forêts plutôt que se placer sous la protection des Nations-Unies, certains ont réussi a atteindre Tuzla, à 80 kilomètres au nord, ville « libre ». Mais beaucoup se font rattraper par les forces serbes de Bosnie.
On peut voir les exécutions à la chaine, une balle en pleine tête, dans des vidéos d’archive, notamment à la « Gallery 11/07/95 » à Sarajevo.
Inauguré en 2003 par Bill Clinton, le mémorial de Potočari est situé face à l’ancienne base militaire des Casques Bleus. Sur place, les stèles blanches se suivent, par milliers. Les noms sur le mémorial rappellent que des familles entières ont été décimées, vivant souvent à proximité les unes des autres. Les mêmes noms de familles se répètent sur des dizaines et des dizaines de lignes.
Actuellement les travaux de recherche des disparus, l’identification ADN et la ré-inhumation des corps se poursuivent toujours.
Ratko Mladić a été condamné le 22 novembre 2017 par la Cour Pénale Internationale de La Haye à la prison à perpétuité après avoir été reconnu coupable de génocide et de crime contre l’humanité.
« En arrivant à Srebrenica, j’ai d’abord été abasourdie, le nez collé à la vitre du bus, devant le défilement de tombes musulmanes, ces milliers de stèles blanches qui tranchent douloureusement avec le vert des collines. Puis arrivée dans la ville, la chaleur du mois de mai m’a saisie, la douceur de vivre, la beauté de cette minuscule vallée, le bruit de la rivière, les oiseaux, les chats étalés au soleil, les gosses qui se courent après. Mais aussi les maisons éventrées, les traces d’impacts, le drapeau serbe, qui rappelle que nous sommes en Republika Srpska (République Serbe de Bosnie) et les tombes : cimetières miniatures qui hérissent chaque coin de verdure.
Vu de loin, la mixité semble fonctionner. La population est pour moitié serbe et bosniaque. Mais au quotidien, les tensions sont palpables entre les deux communautés. Un couple bosniaque me raconte les brimades et la difficulté de vivre en Republika Srpska, où les institutions, la police, les écoles… sont serbes. Ils ne veulent pas partir, ici c’est chez eux, leurs familles sont enterrées au mémorial. Je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’échanger avec des Serbes à Srebrenica, alors je n’aurai que le ressenti de ce couple. Mais comme partout ailleurs dans le pays, la diversité salvatrice que j’étais venue chercher, je n’en trouve pas la moindre trace.«